L’horreur s’est encore abattue sur notre belle capitale. Et la poussière n’est pas encore retombée, nos morts comptés, nos blessés rétablis, que j’éprouve déjà une certaine lassitude.
Loin de moi d’être blasé des catastrophes, le simple fait de m’imaginer les coulisses du Bataclan me font faiblir, et bien qu’éprouvant une fierté incomparable en ayant vu le comportement exemplaire des parisiens, ouvrant leurs portes pour sauver et aider les passants sans refuges (c’est la première fois que je vois le mot « Fraternité » réellement se cristalliser quelque part, ça ne laisse pas de marbre), je ressens un immense vide et anticipe déjà ma colère.
Colère non pas contre l’Islam (qui se passerai bien de tout cela), pas même contre ces écervelés qu’on a manipulés et orientés contre nous, ni contre notre époque qui nous fait vivre des horreurs (si vous pensez que c’était mieux ou plus facile avant, je vous invite à retourner lire l’Histoire).
Colère déjà avec ce qu’on a laissé faire en Syrie. Nous ne sommes pas intervenus quand la révolution était portée par la jeunesse éduquée, modérée et progressiste, contre un tyran qui a pris soin de les massacrer en laissant se développer la deuxième vague, les extrémistes, afin de s’attirer la sympathie des autres Etats, car combattre un monstre ça justifie et ça maintien au pouvoir.
Les Démocraties ont laissé cette jeunesse se faire massacrer, lamentable tribu pour éviter le courroux des Russes.
Depuis plus d’un an, on ne sait plus quoi faire dans ce qui est déjà, avant même que ça ait commencé, un incommensurable merdier, un inévitable bourbier. Et où on aimerait qu’aucun des deux camps n’existe. Alors on a fait ce qu’on fait si bien quand on n’a pas d’intérêt économique à défendre : ignorer.
Et ça vient de nous péter en pleine gueule.
L’Histoire nous a déjà appris que le « plus jamais ça », ça engendre parfois pire. Elle s’est répétée, encore.
Colère contre nos gouvernements qui profitent de la terreur irrationnelle qu’inspire le terrorisme pour nous enfermer et nous contrôler toujours un peu plus. De la même manière que dans les prisons il y a encore de la contrebande, quand bien même nous finirions tous dans des prisons dorées et virtuelles, nous n’empêcherons pas le terrorisme d’arriver. Pas comme ça.
La loi renseignement est entrée en vigueur le 3 Octobre 2015 et n’a pas empêchée cet attentat, comme il était prévisible. Et ce qu’elle permet n’arrêtera pas non plus les suivants.
Par contre, chaque mur, chaque fondation, chaque morceau de notre patrimoine que nous abattons dans un espoir insensé de sécurité, détruit un peu plus ce que nous sommes et fait le jeu des terroristes : car ce qu’ils veulent, c’est justement de nous influencer par la peur.
Tout ça, le reniement de ce que nous sommes, de nos valeurs, de nos acquis historiques, pour quelque chose qui tue infiniment moins que la cigarette ou la voiture…
Quand l’Histoire viendra nous juger, nous serons ceux qui ont bradé les libertés et idéaux si difficilement obtenus dans les larmes et le sang pendant des siècles, sans réfléchir, dans l’émotion des lendemains noirs, pour une promesse intenable et ridicule.
Colère contre les journalistes devenus d’imbéciles perroquets, qui dans ces moments sombres s’empiffrent de l’émotion pour la retransmettre amplifiée, là où nous aurions au contraire besoin de prendre de la distance et non pas nous faire mettre le nez dans l’abdomen éventré d’une des victimes. Qu’ils arrêtent de se plaindre de leurs ventes misérables et qu’on arrête de financer ces irresponsables incompétents…
Colère aussi, pour le manque de retenue dont nous faisons part, pour un lendemain d’attentat Libanais. Nous n’avons pas sourcillé pour leurs morts, pas d’opération Facebook press-here-to-flag-your-avatar, ni encore de « I’m safe », ni de déclaration émue de dirigeants, ni de premières pages noircies de grand magazines.
Tout se passe comme pour Charlie Hebdo. Sauf qu’il ne s’agit plus de Charlie Hebdo. De personnes qui se savaient en danger pour ce qu’elles faisaient, mais qui, de par leurs convictions, ont continué, pour finalement en mourir.
Ce Vendredi, tous ces gens sont morts par hasard, pour être malheureusement au mauvais endroit, au mauvais moment, comme pour tous les autres malheureux qui meurent depuis des années dans les pays moins bien nantis que les nôtres, des mains des mêmes bourreaux.
Je compatis réellement à la douleur des survivants qui ont vu leurs amis mourir sous leurs yeux, des familles qui ont ce soir une chambre vide dans laquelle ils n’osent plus entrer, des veuves et veufs qui regardent leurs enfants en n’arrivant plus à se projeter dans tous ces projets envisagés à deux.
Je suis profondément et sincèrement désolé pour vous. Je tremble rien que de penser à ce que vous devez traverser en ce moment.
Mais pour tous les autres, tout ceux qui, comme moi, avons la chance de ne pas avoir à pleurer de proches aujourd’hui, mais nous sentons néanmoins affectés par ces évènements, ayons la décence et l’intelligence de ne pas donner plus de valeur à ces morts parce qu’ils sont à majorité blanche et vivant en France qu’à ceux de l’autre côté de la méditerranée.
Il n’y a pas de choc des civilisations, des cultures, de réelle frontières, il n’y a que ceux qui veulent vivre normalement d’un côté, et de l’autre, les deux horreurs de notre temps : ceux qui posent des bombes en appelant à la haine, et ceux qui aimeraient nous déposséder de toutes nos libertés.
Ne commençons pas à faire de distinctions parmi les nôtres.
Je sais que je serai en colère pour tout cela.
Mais pour l’instant, seul reste le choc, la fatigue et la lassitude.